« Montrer les apparences c’est aussi manifester le poids du temps et rapporter la fragilité de l’existence. Cette fragilité se retrouve de façon prégnante lorsque ce qui se donne à voir semble se dérober, résister à l’appropriation du regard.
Pour conjurer l’absence, ma mère, durant une dizaine d’années, a battu les cartes certains après-midi, assise devant une chaise vide, sans jouer à rien. Usée, la fibre des cartes s’est confondue avec l’épiderme de ses mains, les figures ont disparu tandis que la vie s’étiolait. Lorsqu’elle ne fut plus là, elle aussi, j’ai récupéré le jeu que je savais rangé dans un tiroir du buffet.
Je l’ai rangé à mon tour dans un tiroir, tel un objet précieux, un reste dérisoire et réactif, un talisman. Il y est resté durant une vingtaine d’années. Je le savais là, en attente du jour où je serais prêt à engager une autre partie en le conduisant à jouer contre lui-même, à contre-emploi, pour effacer l’effacement et célébrer la présence. »
John Batho
Série "Cartes" 2009 Tirage numérique sur papier photo 59,5 x 42 cm